Patrimoine français : les débuts

Nous pouvons retracer les débuts du patrimoine français en Amérique du Nord aux XVIe et XVIIe siècles, lorsque la France, comme d’autres puissances européennes, envoya des explorateurs, des traiteurs et des colons sur le continent dans l’espoir d’exploiter les richesses qu’ils comptaient trouver ici.

Au XVIe siècle, les Français souhaitaient accroître leur commerce avec la Chine et le reste de l’Asie, mais la route terrestre depuis la France était difficile et risquée. Pourrait-il y avoir une route plus rapide à travers l’Amérique du Nord ? Les Français voulaient également rivaliser avec d’autres puissances européennes telle que l’Espagne, qui avait commencé à extraire la richesse des terres nouvellement conquises en Amérique du Sud. Désirant développer la puissance française, le roi envoya des hommes pour explorer la partie nord de l’Amérique du Nord, Jacques Cartier en premier. Cartier entra dans le fleuve Saint-Laurent en 15341535 et 1541, mais rentra chez lui sans établir de colonies en Amérique du Nord. Cependant, l’abondance des animaux à fourrures s’est rapidement avérée une source de richesse alléchante, motivant la couronne française et les marchands à étendre leur présence sur le continent.

Les colonies prennent racine

Modifications of the Beaver Hat, 1892
Modifications du chapeau de castor, 1892

En 1603 Samuel de Champlain se rendit sur le continent, où on l’avait chargé d’établir des sites de commerce permanents. Après plusieurs tentatives infructueuses d’implantation de postes sur la côte atlantique, Champlain revint sur le site qui est aujourd’hui la ville de Québec et, avec une trentaine de colons, y établit l’« Habitation de Québec ». Ils créèrent des alliances avec les peuples autochtones de la région, les Montagnais, les Algonquins et les Hurons, dans le but de développer une relation commerciale basée sur la traite des fourrures avec ces groupes ainsi qu’avec d’autres à l’intérieur du continent. Le poste de traite de Trois-Rivières fut établi en 1634. Huit ans plus tard, la ville de Montréal, alors appelée « Ville-Marie », fut fondée sur une île du Saint-Laurent. Malgré l’objectif initial de ses fondateurs, qui était de former une ville missionnaire où les autochtones pourraient être convertis au catholicisme, la colonie perdit rapidement sa fonction religieuse principale et devint un élément crucial du commerce croissant des fourrures.

Alors que les Français espéraient toujours trouver une route fluviale vers le Pacifique à travers l’Amérique du Nord, c’est le commerce des fourrures qui prit le dessus dans les efforts français pour tirer profit de leur présence sur le continent. Pourtant, ils dépendaient des peuples autochtones qui leur fournissaient les fourrures en échange de produits manufacturés importés d’Europe. Le plus précieux était le castor, dont la sous-fourrure était transformée en feutre pour les chapeaux, mais de nombreuses autres fourrures et peaux d’animaux furent également échangées contre une grande variété de marchandises, notamment des produits métalliques, des tissus, des bijoux en argent, et des perles.

Les Français cherchèrent également à tirer parti des ressources minérales de l’Amérique du Nord, espérant reproduire l’extraction des richesses minérales dont l’Espagne avait profité dans ses colonies sud-américaines. Bien qu’il n’y ait eu aucun signe de mines d’or dans la vallée du Saint-Laurent ni dans les régions au sud et à l’ouest dans lesquelles les Français s’aventuraient, ils apprirent qu’il y avait des gisements de plomb ainsi que peut-être du cuivre et d’autres minéraux sur ce territoire, et ils firent des efforts pour exploiter cette ressource.

Commemorative Plaque, Québec City (Photo: R. Duvick)
Plaque commémorative, Québec (Photo : R. Duvick)
Beaver pelt (Photo: R. Duvick)
Peau de castor (Photo : R. Duvick)

Vers l’intérieur du continent

Part of the Coronelli Map, 1688 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
Partie de la carte Coronelli, 1688 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

Depuis les petites colonies de Québec, Trois-Rivières et Montréal, les Français continuèrent, au cours des années 1600, à envoyer des hommes explorer vers l’ouest et le sud, s’enfonçant plus profondément dans la région des Grands Lacs et du fleuve Mississippi. Peu à peu, ils établirent des postes de traite et des forts ainsi que des missions religieuses. Les noms de ces explorateurs français sont familiers. Louis Jolliet et le père Jacques Marquette furent les premiers Européens à descendre le fleuve Mississippi, en 1673. Jean Nicolet parcourut la région qui comprend les états actuels du Wisconsin, du Michigan, et du Minnesota. Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseillers traversèrent la région du lac Supérieur. René-Robert Cavelier de la Salle fut le premier Français à suivre le fleuve Mississippi jusqu’à son embouchure dans le golfe du Mexique, plantant un drapeau et une plaque revendiquant le territoire pour la France au nom de Louis XIV le 9 avril 1682 ; désormais, les Français appelleraient cette partie sud de la Nouvelle France « la Louisiane ». En fait, la région autour des Grands Lacs fut baptisée « le Pays d’en Haut », et la région au sud des Grands Lacs plus proche du Mississippi fut appelée « le Pays des Illinois » après les autochtones qu’ils y rencontrèrent.

Certaines des expéditions vers l’ouest étaient parrainées par la couronne ou par des sociétés commerciales officiellement autorisés, mais d’autres Français se sont lancés dans ce territoire sans autorisation officielle; on les appella des « coureurs des bois ». De nombreuses expéditions comprenaient des prêtres jésuites ou récollets, qui cherchaient à établir des missions afin de convertir les autochtones au christianisme.

Partenaires autochotones

Western Michigan University archaeologists conducting investigations at Fort St. Joseph. (Photo: Shelby Johnson. Courtesy of the Fort St. Joseph Archaeological Project)
Archéologues de l'Université Western Michigan menant des enquêtes à Fort St. Joseph. (Photo : Shelby Johnson. Avec l’autorisation du Projet archéologique du Fort St. Joseph)
The Old French House, Vincennes, Indiana (Photo: R. Duvick)
The Old French House, Vincennes, Indiana (Photo: R. Duvick)

Aux environs de Montréal et de Québec, les partenaires autochtones des Français étaient les Montagnais, les Algonquins, les Hurons et, dans une certaine mesure, les Iroquois. Parmi les tribus autochtones que les Français rencontrèrent dans leurs voyages vers l’ouest et vers le sud se trouvaient les Odawa, les Ojibwé, les Potawatomi, les Illinois, les Miami, les Shawnee, les Winnebago, les Hurons, les Meskwaki, les Dakota et les Wea. Les autochtones jouèrent un rôle crucial dans la survie des Français. Premièrement, les peuples autochtones savaient comment survivre dans cet environnement; les Français avaient beaucoup à apprendre d’eux concernant la nourriture, l’habillement, le transport et le logement ainsi qu’au sujet du terrain avec ses défis et ses opportunités. Deuxièmement, bien sûr, les autochtones fournissaient les fourrures que les Français souhaitaient exporter. Et enfin, les autochtones pouvaient aider les Français à s’intégrer dans les systèmes commerciaux complexes qui existaient déjà entre les groupes d’Amérindiens.

Ce que nous savons sur cette période provient en grande partie de la correspondance volumineuse entre les Jésuites qui se rendaient dans la région et leurs collègues en France, ainsi que des rapports militaires envoyés aux autorités françaises. Certains documents juridiques ou paroissiaux sont également conservés dans les archives de différents états ou villes dans la région du Corridor.

De plus, l’analyse des données matérielles provenant des fouilles archéologiques de sites comme le Fort de Chartres dans l’Illinois ou le Fort St. Joseph dans le Michigan fournissent des renseignements précieux sur le monde quotidien de cette époque.

Cependant, les documents de cette époque ont été produits par des Français, et par conséquent ces premiers aperçus de la région et de ses autochtones reflètent forcément une perspective et une interprétation européennes. Pour avoir une vision plus complète, nous devons également rechercher la perspective autochtone. Cette perspective, nous pouvons l’aborder en consultant des sites qui évoquent l’histoire de la rencontre entre Amérindiens et Européens du point de vue autochtone, tels que le blog communautaire Myaamia (Miami), disponible ici , ou le Centre du patrimoine culturel de la nation citoyenne Potawatomi ici.

D’autres drapeaux

La Guerre de Sept Ans, connue aux États-Unis sous le nom de « French and Indian War », mit les puissances européennes de la Grande-Bretagne et de la France en conflit à la fois sur le continent européen et en Amérique du Nord. La Grande-Bretagne étant victorieuse à la fin de ce conflit, la France renonça à ses prétentions sur son territoire en Amérique du Nord, préférant conserver ses colonies des Antilles. Par conséquent, la partie de La Nouvelle France à l’est du Mississippi devint territoire britannique à la suite du traité de Paris en 1763.

La partie de la Nouvelle France qui se trouvait à l’ouest du Mississippi, ainsi que la zone autour de la Nouvelle-Orléans, avait été secrètement cédée par la France à l’Espagne par le traité de Fontainebleau en 1762. Ce territoire resta donc espagnol jusqu’aux négociations compliquées qui menèrent à l’achat de la Louisiane en 1803 (par lesquelles la région redevint française avant d’être rachetée par les États-Unis).

Du point de vue autochtone, pourtant, il n’y eut pas de changement de propriétaire. Les peuples autochtones ont continué à poursuivre des relations avec leurs partenaires commerciaux, qu’ils soient français, britanniques ou américains, jusqu’à ce que le changement de politique américaine les oblige à quitter leurs terres à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.

Peu à peu, les Français installèrent de petits forts, des postes de traite et des missions éparpillés dans la région des Grands Lacs et de la vallée du Mississippi. La principale fonction d’un grand nombre de ces lieux était de faciliter la traite des fourrures et, à certains endroits, l’extraction du plomb ou d’autres minéraux. Néanmoins, il y avait des habitants – comme on appelait les colons ordinaires – qui travaillaient comme agriculteurs et artisans, créant une économie plus mixte, commerciale et agricole, ce qui entraîna l’implantation de la langue et des coutumes françaises dans les petites communautés. Cependant, le nombre de colons resta faible. En 1760, il y avait probablement au maximum environ 9 000 francophones – des soldats, des traiteurs, des habitants – vivant dans cette partie de la Nouvelle France.

Coulipa, a Meskwaki captive painted in 1731
Coulipa, un captif Meskwaki peint en 1731 (Original à la Bibliothèque Nationale de France)

La présence française demeure

The Bellin Map (1755)
Carte Bellin, 1755 (Library of Congress)

Les francophones influencèrent l’évolution de cette région de multiples façons. Certaines des petites communautés françaises sont devenues des villes, dont les noms rendent évident leur passé français : parmi elles, on retrouve Detroit, Sault Ste. Marie, St. Louis, Prairie du Chien, Ste. Geneviève ou encore Vincennes.

Même après la cession de ses territoires nord-américains par la France, la présence française se maintint dans la région du French Heritage Corridor. Bien que certains forts français aient été fermés et que d’autres soient devenus britanniques puis américains après la Révolution américaine, de nombreux habitants sont restés, de même que des traiteurs de fourrures et des hommes d’affaires francophones. Ils ont joué un rôle économique clé alors que les intérêts britanniques, puis américains, arrivaient sur ce territoire. Les Français et les Canadiens français se sont montrés capables de nouer des relations entre de multiples partenaires – britanniques, français, espagnols, américains, autochtones – dans le monde complexe qui se dessinait.

Aujourd’hui, nous reconnaissons des francophones individuels comme Pierre Ménard, Jean Baptiste Point DuSable, Félix Vallé, Auguste Chouteau, Michel Brisbois, Julien Dubuque, le Père Louis Hennepin, et bien d’autres, comme des acteurs importants de l’histoire de cette région à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles. Pourtant, nous devons également reconnaître les activités de nombreux autres francophones, groupes et individus, femmes et hommes, dans l’histoire de la région du French Heritage Corridor. Leur présence, porteuse d’éléments culturels français tels que la langue, les coutumes, et la religion, s’est ajoutée au riche mélange historique et culturel qui caractérise cette région.

Le patrimoine français se maintient aujourd’hui par le travail des associations, des sociétés d’histoire régionale ou communale, des événements culturels, des musées ou encore des sites historiques partout dans la région du French Heritage Corridor. La carte interactive French Heritage Corridor présente des liens qui permettront aux visiteurs de découvrir des sites du Corridor entier et les invitent à s’immerger dans cette riche histoire.