Le patrimoine français du Minnesota
L’eau et les voies navigables définissent la région qui se nomme aujourd’hui le Minnesota. Depuis toujours, c’est un lieu autochtone : il existe actuellement onze nations tribales souveraines dans le Minnesota. Dans le passé, ces peuples autochtones, dont les Dakotas, les Ojibwé, et leurs ancêtres, ont créé un vaste réseau de sentiers aquatiques (sentiers aux canots), reliés par des portages. Lorsque les Français sont arrivés au début du XVIIe siècle, il fallait qu’ils apprennent à naviguer, littéralement et figurativement, dans ce vaste paysage aquatique : c’était la clé de l’établissement d’une présence française permanente dans la région (Birk 1994; Gilman 1982). Les débuts d’un patrimoine français au Minnesota furent établis sur le lac Supérieur / Grand Portage / la route frontalière, le long du haut Mississippi, et dans la vallée de la rivière Minnesota, et se fondirent dans le système routier Red River Oxcart Trail.
L’histoire de la présence française au Minnesota peut se diviser en deux phases temporelles (Birk 1991). Au cours de la première phase, dite initiale ou « phase de contact français » (vers 1640-1702), les explorateurs et coureurs des bois français ont fait leurs premières incursions dans le Minnesota. Les aventuriers Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart, Sieur des Groseilliers sont les premiers Français, à notre connaissance, à entrer dans la région appelée aujourd’hui le Minnesota, vers 1659-1660. Parmi les autres personnalités françaises que nous pouvons noter au cours de cette phase initiale, mentionnons : Daniel Greysolon, sieur du Lhut, qui explora la région ouest du lac Supérieur en 1679/1680 et dont la ville moderne de Duluth porte le nom ; Le père Louis Hennepin, qui avec deux autres Français, fut capturé par les Dakota en 1680, lors d’une expédition dirigée par René-Robert Cavelier, sieur de La Salle, et emmené dans les colonies des Dakotas près de l’actuel lac Mille Lacs ; et Pierre Le Sueur, un Canadien français qui passa plusieurs années sur le haut Mississippi à faire du commerce avec les Dakotas et les Ojibwés entre 1683 et 1701. Entre 1702 et 1713, les Français étaient largement absents du Minnesota (Birk 1991).
La phase d’expansion dite tardive ou « française » (vers 1713-1763) a vu les Français revenir au Minnesota pour reprendre le commerce des fourrures et rétablir leurs relations avec les peuples Ojibwe et Dakota. Au cours de cette période, les Français établirent une série de postes de traite et de forts plus permanents, principalement sur le Mississippi, le lac Supérieur/Grand Portage/la route frontalière et la rivière Minnesota. Par exemple, entre 1731 et 1743, Pierre Gaultier de Varennes, sieur de La Vérendry, un officier militaire canadien-français et commerçant de fourrures, accompagné de ses fils et dirigé par des guides autochtones, créa des cartes de la région et établit un certain nombre de forts à but commercial le long de ce qui allait devenir le principal route du commerce des fourrures entre le lac Supérieur et les voies navigables intérieures de l’Amérique du Nord. La Vérendry et ses compagnons seraient les premiers Européens à rendre compte de leur voyage sur le Grand Portage, un réseau de sentiers terrestres de 8,5 milles reliant le lac Supérieur et les lacs et rivières de l’intérieur (Wingerd 2010). Dans le Minnesota, cette route, connue sous le nom de Border Route (car elle longe la frontière canado-américaine) ou Voyageur’s Highway, fait aujourd’hui partie de la Superior National Forest, la Boundary Waters Canoe Area Wilderness, le Grand Portage National Monument et le parc national Voyageurs. C’est durant cette période que de nombreux Français et autochtones nouèrent des liens de parenté par des mariages (souvent « à la façon du pays » c’est-à-dire non sanctionnés par l’église catholique) qui devaient conduire au développement d’une importante population métisse qui deviendrait « the central cultural brokers in shaping Indian-white relationships » dans le Minnesota pour les 150 prochaines années et au-delà (Wingerd 2010 : 7 ; Peterson 2001 ; Vaughan 2021).
Bien que 1763 marque la fin du régime français au Minnesota, elle ne marque pas la fin d’une présence française et métisse au Minnesota. Le long de la route frontalière, les engagés canadiens-français et métis – des employés sous divers types contrat – continuèrent de fournir une grande partie de la main-d’œuvre aux brigades de la traite des fourrures qui passaient par Grand Portage. Les Britanniques embauchèrent un grand nombre de Canadiens français et de métis comme bateliers pour transporter par canot des fournitures, des provisions et des marchandises commerciales afin de ramener à Montréal les fourrures collectées (Podruchny 2006). Les hommes de cette classe spéciale d’engagés étaient appelés voyageurs. Au fil du temps, les voyageurs ont développé un style de vie et une identité professionnelle uniques, avec des compétences, des connaissances, des aptitudes et des pratiques sociales matérielles particulières qui les distinguèrent des autres groupes (Podruchny 2006). Ainsi, par exemple, les voyageurs portaient un style vestimentaire distinctif, se livraient à des rites et rituels séculaires et religieux distinctifs, préféraient un régime alimentaire particulier, se livraient à des comportements virils de « culture brute » tels que boire et jouer, développaient un système de traditions orales dominées par les contes et les chansons folkloriques, et créèrent une multitude de pratiques quotidiennes associées à leur régime de travail, y compris des coutumes uniques autour du tabac (Mann 2017 ; Podruchny 2006).
En 1779, la Northwest Company (NWC) fut fondée et elle devait contrôler une grande partie du commerce des fourrures au Minnesota au cours des quarante années suivantes. En 1784, la NWC construisit son dépôt principal au Grand Portage, un complexe de 16 bâtiments entourés d’une palissade en bois. C’était à l’époque le plus grand dépôt de traite des fourrures de l’intérieur de l’Amérique du Nord. À la fin des années 1780, la NWC employait plus de 1 000 voyageurs et exploitait un certain nombre de petits postes d’hivernage dans tout le Minnesota (Gilman 1954; Wingerd 2010). Puisque la NWC préférait embaucher des Canadiens français comme voyageurs, les hommes francophones et leurs descendants métis vivaient et travaillaient bientôt dans une grande partie du Minnesota. Après la Guerre d’indépendance américaine et le départ de la NWC (qui a fusionné avec la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1821), bon nombre de ces Canadiens français et métis sont devenus des commerçants de fourrures indépendants ou se sont joints à l’American Fur Company, qui s’est formée en 1808 et qui, en 1821, tenait « a virtual monopoly in Minnesota and throughout the American Midwest and Great Lakes » (Lurie 2022). Certains de ces commerçants de fourrures, tels que Jean Baptiste Faribault et Hypolite Dupuis, jouèrent un rôle important au début de la période américaine dans le Minnesota, aidant à fonder des villes et des villages à travers l’État. De nombreux Minnesotans vivants aujourd’hui peuvent retracer leur ascendance jusqu’aux familles de commerçants de fourrures canadiens-français et métis de cette période (Lurie 2022).
Enfin, un aspect unique de l’héritage français du Minnesota est le rôle économique important joué par les Red River Trails, qui serpentaient à travers l’État. Ce système fut une voie cruciale pour le commerce et l’immigration au cours de la première moitié du XIXe siècle dans le Minnesota. Ce réseau de sentiers terrestres reliait la colonie de la rivière Rouge (près de l’actuelle Winnipeg, au Manitoba), au Canada britannique, à St. Paul dans le Minnesota et à la vallée du Mississippi. Des robes et des peaux de bison qui valaient des millions de dollars par an furent collectées par des chasseurs métis dans les plaines et transportées sur le sentier dans les célèbres chars à bœufs de la rivière Rouge (Red River Oxcart Trail) jusqu’aux marchés de Saint-Paul (Even 2022 ; Gilman et al. 1979 ; Vaughn 2021).
–Rob Mann, St. Cloud State University
References
Birk, Douglas A.
1991 French Presence in Minnesota: the View from Site MO20 near Little Falls. In French Colonial Archaeology: The Illinois Country and the Western Great Lakes, edited by John A. Walthall, pp. 237–266. University of Illinois Press, Champaign.
1994 When Rivers were Roads: Deciphering the Role of Canoe Portages in the Western Lake Superior Fur Trade. In The Fur Trade Revisited: Selected Papers of the Sixth North American Fur Trade Conference, Mackinac Island, Michigan, 1991, edited by Jennifer S.H. Brown, W.J. Eccles and Donald P. Heldman, 359-375. Michigan State University Press, Mackinac Island, East Lansing/Mackinac Island.
Even, Megan Lynn
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Gilman, Carolyn.
1982 Where Two Worlds Meet: The Great Lakes Fur Trade. Minnesota Historical Society Press, St. Paul.
Gilman, Carolyn (with research by Alan R. Woolworth)
1992 The Grand Portage Story. Minnesota Historical Society Press, St. Paul.
Gilman, Rhoda, Carolyn Gilman, and Deborah M. Stultz
1979 Red River Trails: Oxcart Routes between St. Paul and the Selkirk Settlement, 1820–1870. St. Paul: Minnesota Historical Society Press.
Lurie, Jon
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Peterson, Jacqueline.
2001 “Many Roads to Red River: Métis Genesis in the Great Lakes Region, 1680–1815.” In The New Peoples: Being and Becoming Métis in North America, edited by Jacqueline Peterson and Jennifer S. Brown, 37–71. St. Paul: Minnesota Historical Society.
Vaughan, Margaret
2021 Métis in Minnesota. MNopedia, Minnesota Historical Society. http://www.mnopedia.org/group/m-tis-minnesota.
Podruchny, Carolyn.
2006 Making the Voyageur World: Travelers and Traders in the North American Fur Trade. University of Nebraska Press, Lincoln.
Wingerd, Mary Lethert.
2010 North Country: The Making of Minnesota. University of Minnesota Press, Minneapolis.